Le grès ferrugineux. Autrefois dénigré, aujourd'hui prisé.

"Le grès ferrugineux du Hageland caractérise et forme le lien entre son patrimoine architectural et son paysage naturel. La couleur brun rouille chaleureuse des monuments, surtout médiévaux, se retrouve également dans les parois de grès ferrugineux des collines du Hageland", affirme Michiel Dusar, géologue et collaborateur scientifique à l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique. "Nulle part ailleurs, le lien régional entre la nature et la culture n'est aussi évident que dans le Hageland."

Depuis 1839, le grès ferrugineux du Hageland doit son nom de grès diestien, par référence à la ville de Diest, à André Dumont sr, fondateur de l'échelle des temps géologiques et de la carte géologique de la Belgique. Cette pierre naturelle est parfois aussi appelée grès grossier.

Le Hageland forme un paysage naturel dans le nord-est du Brabant flamand, caractérisé par des crêtes allongées orientées SO-NE. Les bancs de grès ferrugineux résultent de la pétrification ou ferruginisation du sable marin. Le grès diestien est donc constitué d'un mélange de grains de sable (grains de quartz et de glauconite) et d'un liant ferrugineux qui assure la cohésion des grains de sable (le ciment de limonite).

Gothique du Démer

Les églises gothiques de la région du Démer ont été cataloguées comme appartenant  au style ‘gothique du Démer’ en 1935 par Stan Leurs (1893-1973), professeur d'Histoire de l'Art à l'Université de Gand.

L'utilisation de Diestien comme élément de construction date cependant de l'époque romaine jusqu'à une époque relativement récente, mais a atteint son apogée vers la fin du Moyen-Âge. Non seulement pour des églises et chapelles (où le grès ferrugineux était généralement revêtu de couches d’enduit et/ou peint), mais aussi pour les remparts et portes des villes, les moulins à eau, les piliers des ponts et les murs de quais.

À partir du 13ème siècle, de plus en plus de pierres naturelles ont été importées dans le Hageland en provenance des régions voisines, principalement de la pierre de Gobertange et du grès bruxellien.

Rudy Peeters, directeur de l’entreprise de rénovation Van Loy Restauratiewerken: "Dans le passé, le grès ferrugineux du Hageland a principalement été utilisé comme élément de construction pour réduire les coûts de transport. Il était évidemment plus économique et plus pratique de le transporter sur plusieurs kilomètres que de chercher une autre solution. Mais à côté de cela, pour certains ouvrages de construction, faire venir des pierres d'ailleurs conférait précisément un statut symbolique."

Le grès diestien est tombé en désuétude en tant qu’élément de construction durant la première moitié du 19ème siècle et a, depuis lors, été utilisé principalement dans des projets de restauration. Plusieurs carrières ont été réouvertes à cet effet, mais vu qu’elles ne suffisaient pas pour répondre à la demande, il a fallu se rabattre sur du grès ferrugineux d’une autre origine, comme le grès bruxellien par exemple. Avec un résultat esthétique pas toujours aussi réussi en raison des différences de tonalité et/ou de texture.

Pénurie aiguë

Les monuments historiques dans lesquels avait été utilisé du grès ferrugineux sont de plus en plus souvent confrontés à des pertes de matériaux en surface importantes, consécutives à l’usure (phénomènes de dégradation auto-accélérés lors de l'infiltration d'eau, ‘fluage’ lent). D'où la nécessité de remplacer ces matériaux par le grès diestien local afin de préserver l'authenticité du Hageland de manière optimale.

Mais c'est précisément là que le bât blesse. Les réserves disponibles de cette variété de pierre sont extrêmement limitées et ne sont plus exploitées depuis des décennies.  L'Agence flamande du Patrimoine estime que les besoins en grès diestien pour les projets de restauration sont les plus importants, avec des besoins de l’ordre de 20 à 40 m³ par an.

"On trouve sporadiquement des pierres utilisables lors des travaux routiers et de terrassement", explique Margot Bertels, responsable de l’entreprise de taille de la pierre Het Bourgondisch Huis de Renotec, "à condition toutefois qu'elles aient été débitées judicieusement sous forme de blocs et pas brisées."

Tapoter pour détecter les défauts

La rénovation de l'église Sainte-Catherine a également été confiée aux entreprises spécialisées Van Loy Restauratiewerken et Das Natuursteen. Toutes deux possèdent un atelier de taille de la pierre en interne ainsi que de collaborateurs fixes qui maîtrisent encore les anciennes techniques artisanales.

“Vu que le grès ferrugineux est plutôt tendre, il est difficile à travailler”, affirme l’ingénieur Donald Das, “et requiert des manipulations prudentes.”

Rudy Peeters: "Les tâches des professionnels comprennent notamment le mesurage, le dessin et la fabrication de gabarits, le sciage des blocs de pierre et le façonnage manuel de pierres plates et d'ornements. Le grès ferrugineux est difficile à travailler en raison de la multitude de fractures et de défauts présents dans le matériau, ce qui entraîne de nombreuses pertes. (Jusqu'à 70% du volume total des blocs de pierre utiles, selon Michiel Dusar). C'est pourquoi on ‘tapote’ d'abord la pierre de manière artisanale pour en vérifier la qualité."

"Le grès ferrugineux est débité à mesure au moyen de scies diamantées spéciales", explique Donald Das, "tandis que la finition ultime s’effectue au rabot à pierre et/ou au burin. Le grès ferrugineux est un matériau avec lequel peu de tailleurs de pierre veulent travailler car il est très abrasif. Toutes les machines et les outils à main s'usent très vite."

"L’usinage entraîne dès lors la libération de nombreuses particules minuscules, de telle sorte qu’un bon système d'aspiration et des masques antipoussières s’avèrent une nécessité", ajoute M. Peeters.

"Si souhaité, le grès ferrugineux peut être ‘vieilli’ visuellement par un sablage doux ou par l'application de joints irréguliers, grâce auxquels le jeu de ligne paraîtra moins sobre."

Mais vu que le grès ferrugineux vieillira de toute façon sous l'influence des conditions climatiques, les experts estiment que le vieillissement artificiel n'est pas nécessaire.

Préservation et consolidation

En raison du manque de disponibilité de grès diestien et afin de préserver l'authenticité des édifices historiques lors de leur restauration, les consultants du patrimoine conseillent de préserver et consolider autant que possible la pierre existante. Ce qui peut se faire:

• En traitant la pierre avec des agents consolidateurs,
• En ragréant les parties manquantes avec un mortier de réparation,
• En retirant et retournant les pierres.

"Une protection supplémentaire de la pierre pourrait être obtenue en appliquant un traitement de surface hydrofuge", ajoute Yves Vanhellemont, chef de laboratoire adjoint au Laboratoire ‘Rénovation et Patrimoine’. "Cela empêchera l'humidité de pénétrer dans la pierre, de telle sorte qu’elle s’usera moins vite. Toutefois, les exigences (notamment en matière de résistance au gel et à l’usure) imposées à la maçonnerie sont si strictes que, dans la pratique, la plupart des maçonneries en grès ferrugineux ne sont pas appropriées pour les rendre hydrofuges."

Comme pour la plupart des projets de préservation, restauration et de rénovation, une solution standard ne sera malheureusement pas possible et l'évaluation ainsi que l'approche d'un monument en grès ferrugineux sera toujours spécifique à chaque cas, en se basant sur un processus ‘anamnèse - diagnostic - thérapie - contrôle’.

Une pierre n'est pas l'autre

"Il existe une controverse sur les variétés de pierre qui pourraient remplacer le grès diestien", déclare Michiel Dusar. "Quoi qu’il en soit, ces pierres viennent d'ailleurs et sont différentes en termes de couleur, patine et texture."

1. Grès bruxellien
   Le grès bruxellien est plus durable que le grès diestien et est dès lors souvent utilisé comme pierre de remplacement. Margot Bertels: "Le grès bruxellien est utilisé dans les environs comme pierre de remplacement, mais sa teinte est différente. De plus, Monumentenzorg (les services du Patrimoine en Flandre) doit approuver la pierre, ce qui n'est pas toujours le cas."
2. Grès tongrien (région de Tongres, Louvain et Tirlemont)
   Le grès tongrien est si rare qu’on utilise souvent du grès diestien comme pierre de remplacement.
3. Bergsteen (région des Ardennes flamandes et Heuvelland en Flandre occidentale)
   Ce grès est difficile à travailler, mais il est donc moins sensible aux conditions climatiques.
4. Sidérite (vallée de la Nete entre Orme et Geel)
   La sidérite est une variété compacte, durable et moins connue.
5. Grès de Carrstone (région de Norfolk - Royaume-Uni)

Le grès de Carrstone est un grès à gros grains, durable et pourtant poreux. Cette pierre est assez hétérogène dans sa composition, sa couleur et sa sensibilité aux intempéries. M. Dusar: "Le grès de Carrstone présente une genèse et une composition minéralogique différentes de celles du grès diestien, mais elle acquiert une patine similaire. Ceux qui travaillent la pierre ne veulent cependant pas dépendre d'un seul fournisseur."

Yves Vanhellemont: "Quelle que soit la pierre de remplacement choisie, elle doit toujours être adaptée à notre climat et donc, plus spécifiquement, être suffisamment résistante au gel et à l'humidité, en plus évidemment de présenter une forte ressemblance visuelle avec le grès diestien."